Los franceses defienden sus monumentos históricos y su tradición: ¡qué buen ejemplo para la Argentina, que tanto se ha inspirado en la Europa católica!
Transcribimos un artículo de este sitio francés por el aspecto "Ambientes, costumbres, civilizaciones...", por el encanto de las conferencias breves sobre europeización que daba el recordado Prof. Plinio Corrêa de Oliveira
Aucune instance ni
aucune loi ne protégeait à cette époque les monuments présentant un
intérêt artistique, archéologique ou historique pourtant livrés au pillage par
une administration complice, suscitant l’ire d’écrivains de renom, tel Victor
Hugo qui en 1834 publie une Guerre aux démolisseurs, vibrant
plaidoyer en faveur de la sauvegarde de notre patrimoine national
Datée
de 1825 et publiée en 1834 au sein de Littérature et philosophie mêlées,
la note intitulée Guerre aux démolisseurs de Victor Hugo était
ainsi libellée :
« Si
les choses vont encore quelque temps de ce train, il ne restera bientôt plus à
la France d’autre monument national que celui des Voyages pittoresques
et romantiques, où rivalisent de grâce, d’imagination et de poésie le
crayon de Taylor et la plume de Ch. Nodier, dont il nous est bien permis
de prononcer le nom avec admiration, quoiqu’il ait quelquefois prononcé le
nôtre avec amitié.
« Le
moment est venu où il n’est plus permis à qui que ce soit de garder le silence.
Il faut qu’un cri universel appelle enfin la nouvelle France au secours de
l’ancienne. Tous les genres de profanation, de dégradation et de ruine menacent
à la fois le peu qui nous reste de ces admirables monuments du Moyen Age, où
s’est imprimé la vieille gloire nationale, auxquels s’attachent à la fois la
mémoire des rois et la tradition du peuple.
« Tandis
que l’on construit à grands frais je ne sais quels édifices bâtards, qui, avec
la ridicule prétention d’être grecs ou romains en France, ne sont ni romains ni
grecs, d’autres édifices admirables et originaux tombent sans qu’on daigne s’en
informer, et leur seul tort cependant, c’est d’être français par leur origine,
par leur histoire et par leur but.
« À
Blois, le château des états sert de caserne, et la belle tour octogone de
Catherine de Médicis croule ensevelie sous les charpentes d’un quartier de
cavalerie. À Orléans, le dernier vestige des murs défendus par Jeanne vient de
disparaître. À Paris, nous ne savons ce qu’on a fait des vieilles tours de
Vincennes, qui faisaient une si magnifique compagnie au donjon. L’abbaye de
Sorbonne, si élégante et si ornée, tombe en ce moment sous le marteau. La belle
église romane de Saint-Germain des Prés, d’où Henr IV avait observé Paris,
avait trois flèches, les seules de ce genre qui embellissent la silhouette de
la capitale. Deux de ces aiguilles menaçaient ruine. Il fallait les étayer ou
les abattre ; on a trouvé plus court de les abattre. Puis, afin de raccorder,
autant que possible, ce vénérable monument avec le mauvais portique dans le
style de Louis XIlI qui en masque le portail, les restaurateurs ont
remplacé quelques-unes des anciennes chapelles par de petites bonbonnières à
chapiteaux corinthiens dans le goût de celles de Saint-Sulpice ; et l’on a
badigeonné le reste en beau jaune serin.
« La
cathédrale gothique d’Autun a subi le même outrage. Lorsque nous passions à
Lyon, en août 1825, il y a deux mois, on faisait également disparaître sous une
couche de détrempe rose la belle couleur que les siècles avaient donnée à la
cathédrale du primat des Gaules. Nous avons vu démolir encore, près de Lyon, le
château renommé de l’Arbresle. Je me trompe, le propriétaire a conservé une des
tours, il la loue à la commune, elle sert de prison. Une petite ville
historique dans le Forez, Crozet, tombe en ruine avec le manoir des
d’Aillecourt, la maison seigneuriale où naquit Tourville, et des monuments qui
embelliraient Nuremberg.
« À
Nevers, deux églises du onzième siècle servent d’écurie. Il y en avait une
troisième du même temps, nous ne l’avons pas vue : à notre passage, elle
était effacée du sol. Seulement nous en avons admiré à la porte d’une
chaumière, où ils étaient jetés, deux chapiteaux romains qui attestaient par leur
beauté celle de l’édifice dont ils étaient les seuls vestiges. On a détruit
l’antique église de Mauriac. À Soissons, on laisse crouler le riche cloître de
Saint-Jean et ses deux flèches si légères et si hardies. C’est dans ces
magnifiques ruines que le tailleur de pierres choisit des matériaux. Même
indifférence pour la charmante église de Braisne, dont la voûte démantelée
laisse arriver la pluie sur les dix tombes royales qu’elle renferme.
« À
la Charité-sur-Loire, près Bourges, il y a une église romaine qui, par
l’immensité de son enceinte et · la richesse de son architecture, rivaliserait
avec les plus célèbres cathédrales de l’Europe ; mais elle est à demi
ruinée. Elle tombe pierre à pierre, aussi inconnue que les pagodes orientales
dans leurs déserts de sable. Il passe là six diligences par jour. Nous avons
visité Chambord, cet Alhambra de la France. Il chancelle déjà, miné par les
eaux du ciel, qui ont filtré à travers la pierre tendre de ses toits dégarnis
de plomb. Nous le déclarons avec douleur, si l’on n’y songe promptement, avant
peu d’années, la souscription, souscription qui, certes, méritait d’être
nationale, qui a rendu le chef-d’œuvre du Primatice au pays, aura été
inutile ; et bien peu de chose restera debout de cet édifice, beau comme
un palais de fées, grand comme un palais de rois.
« Nous
écrivons ceci à la hâte, sans préparation et en choisissant au hasard
quelques-uns des souvenirs qui nous sont restés d’une excursion rapide dans une
petite portion de la France. Qu’on y réfléchisse, nous n’avons dévoilé qu’un
bord de la plaie. Nous n’avons cité que des faits, et des faits que nous avons
vérifiés. Que se passe-t-il ailleurs ? On nous a dit que des Anglais
avaient acheté trois cents francs le droit d’emballer tout ce qui leur plairait
dans les débris de l’admirable abbaye de Jumièges. Ainsi les profanations de
lord Elgin se renouvellent chez nous, et nous en tirons profit. Les Turcs ne
vendaient que les monuments grecs ; nous faisons mieux, nous vendons les
nôtres. On affirme encore que le cloître si beau de Saint-Wandrille est débité,
pièce à pièce, par je ne sais quel propriétaire ignorant et cupide, qui ne voit
dans un monument qu’une carrière de pierres.
« Proh
pudor ! au moment où nous traçons ces lignes, à Paris, au lieu
même dit École des beaux-arts, un escalier de bois, sculpté par les merveilleux
artistes du quatorzième siècle, sert d’échelle à des maçons ; d’admirables
menuiseries de la renaissance, quelques-unes encore peintes, dorées et
blasonnées, des boiseries, des portes touchées par le ciseau si tendre et si
délicat qui a ouvré le château d’Anet, se rencontrent là, brisées, disloquées,
gisant en tas sur le sol, dans les greniers, dans les combles, et jusque dans
l’antichambre du cabinet d’un individu qui s’est installé là, et qui
s’intitule architecte de l’École des beaux-arts, et qui marche tous
les jours stupidement là-dessus. Et nous allons chercher bien loin et payer
bien cher des ornements à nos musées !
« Il
serait temps enfin de mettre un terme à ces désordres, sur lesquels nous
appelons l’attention du pays. Quoique appauvrie par les dévastateurs
révolutionnaires, par les spéculateurs mercantiles et surtout par les
restaurateurs classiques, la France est riche encore en monuments français. Il
faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait ;
qu’on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété, la destruction
d’un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à ces ignobles
spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur honneur ; misérables
hommes, et si imbéciles, qu’ils ne comprennent même pas qu’ils sont des
barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa
beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde ;
c’est donc dépasser son droit que le détruire.
« Une
surveillance active devrait être exercée sur nos monuments. Avec de légers
sacrifices, on sauverait des constructions qui, indépendamment du reste,
représentent des capitaux énormes. La seule église de Brou, bâtie vers la fin
du quinzième siècle, a coûté vingt-quatre millions, à une époque où la journée
d’un ouvrier se payait deux sous. Aujourd’hui ce serait plus de cent cinquante
millions. Il ne faut pas plus de trois jours et de trois cents francs pour la
jeter bas.
« Et
puis, un louable regret s’emparerait de nous, nous voudrions reconstruire ces
prodigieux édifices, que nous ne pourrions. Nous n’avons plus le génie de ces
siècles. L’industrie a remplacé l’art.
« Terminons
ici cette note : aussi bien c’est encore là un sujet qui exigerait un
livre. Celui qui écrit ces lignes y reviendra souvent, à propos et hors de
propos ; et, comme ce vieux Romain qui disait toujours : Hoc
censeo et delendam esse Carthaginem, l’auteur de cette note répétera sans
cesse : Je pense cela et qu’il ne faut pas démolir la France. »
Dans
note datée de 1832, Victor Hugo écrit encore :
« Il
faut le dire, et le dire haut, cette démolition de la vieille France, que nous
avons dénoncée plusieurs fois sous la Restauration, se continue avec plus
d’acharnement et de barbarie que jamais. Depuis la révolution de juillet, avec
la démocratie, quelque ignorance a débordé et quelque brutalité aussi. Dans
beaucoup d’endroits, le pouvoir local, l’influence municipale, la curatelle
communale a passé des gentilshommes qui ne savaient pas écrire aux paysans qui
ne savent pas lire. On est tombé d’un cran. En attendant que ces braves gens
sachent épeler, ils gouvernent. La bévue administrative, produit naturel et
normal de cette machine de Marly qu’on appelle la centralisation, la bévue
administrative s’engendre toujours, comme par le passé, du maire au
sous-préfet, du sous-préfet au préfet, du préfet au ministre. Seulement elle
est plus grosse.
« Notre
intention est de n’envisager ici qu’une seule des innombrables formes sous
lesquelles elle se produit aux yeux du pays émerveillé. Nous ne voulons traiter
de la bévue administrative qu’en matière de monuments, et
encore me ferons-nous qu’effleurer cet immense sujet, que vingt-cinq volumes
in-folio n’épuiseraient pas.
« Nous
posons donc en fait qu’il n’y a peut-être pas en France, à l’heure qu’il est,
une seule ville, pas un seul chef-lieu d’arrondissement, pas un seul chef-lieu
de canton, où il ne se médite, où il ne se commence, où il ne s’achève la
destruction de quelque monument historique national, soit par le fait de
l’autorité centrale, soit par le fait de l’autorité locale de. l’aveu de
l’autorité centrale, soit par le fait des particuliers sous les yeux et avec la
tolérance de l’autorité locale.
« Nous
avançons ceci avec la profonde conviction de ne pas nous tromper, et nous en
appelons à la conscience de quiconque a fait, sur un point quelconque de la
France, la moindre excursion d’artiste et d’antiquaire. Chaque jour quelque
vieux souvenir de la France s’en va avec la pierre sur laquelle il était écrit.
Chaque jour nous brisons quelque lettre du vénérable livre de la tradition. Et
bientôt, quand la ruine de toutes ces ruines sera achevée, il ne nous restera
plus qu’à nous écrier avec ce Troyen, qui du moins emportait ses dieux :
... Fuit Ilium, et ingens |
« Et
à l’appui de ce que nous venons de dire, qu’on permette à celui qui écrit ces
lignes de citer, entre une foule de documents qu’il pourrait produire,
l’extrait d’une lettre à lui envoyée. Il n’en connaît pas personnellement le
signataire, qui est, comme sa lettre l’annonce, homme de goût et de cœur ;
mais il le remercie de s’être adressé à lui. Il ne fera jamais faute à
quiconque lui signalera une injustice ou une absurdité nuisible à dénoncer. Il
regrette seulement que sa voix n’ait pas plus d’autorité et de retentissement.
Qu’on lise donc cette lettre, et qu’on songe, en la lisant, que le fait qu’elle
atteste n’est pas un fait isolé, mais un des mille épisodes du grand fait
général, la démolition successive et incessante de tous les monuments de l’ancienne
France. »
« Charleville,
14 février 1832.
« Monsieur,
« Au
mois de septembre dernier, je fis un voyage à Laon (Aisne), mon ays natal. Je
l’avais quitté depuis plusieurs années : aussi, à peine arrivé, mon
premier soin fut de parcourir la ville... Arrivé sur la place du Bourg, au
moment où mes yeux se levaient sur la vieille tour de Louis d’Outremer, quelle
fut ma surprise de la voir de toutes parts bardée d’échelles, de leviers et de
tous les instruments possibles de destruction ! Je l’avouerai, cette vue
me fit mal. Je cherchais à deviner pourquoi ces échelles et ces pioches, quand
vint à passer M. Th..., homme simple et instruit, plein de goût pour les
lettres et fort ami de tout ce qui touche à la science et aux arts. Je lui fis
part à l’instant de l’impression douloureuse que me causait la destruction de ce
vieux monument.
« M. Th...,
qui la partageait, m’apprit que, resté seul des membres de l’ancien conseil
municipal, il avait été seul pour combattre l’acte dont nous étions en ce
moment témoins ; que ses efforts n’avaient rien pu. Raisonnements,
paroles, tout avait échoué. Les nouveaux conseillers, réunis en majorité contre
lui, l’avaient emporté. Pour avoir pris un peu chaudement le parti de cette
tour innocente, M. Th... avait été même accusé de carlisme. Ces messieurs
s’étaient écriés que cette tour ne rappelait que les souvenirs des temps
féodaux, et la destruction avait été votée par acclamation. Bien plus, la ville
a offert au soumissionnaire qui se charge de l’exécution une somme de plusieurs
mille francs, les matériaux en sus. Voilà le prix du meurtre, car c’est un
véritable meurtre ! M. Th... me fit remarquer sur le mur voisin
l’affiche d’adjudication, en papier jaune. En tête était écrit en énormes
caractères : DESTRUCTION DE LA TOUR DITE DE LOUIS D’OUTREMER. Le
public est prévenu, etc.
« Cette
tour occupait un espace de quelques toises. Pour agrandir le marché qui
l’avoisine, si c’est là le but qu’on a cherché, on pouvait sacrifier une maison
particulière, dont le prix n’eût peut-être pas dépassé la somme offerte au
soumissionnaire. Ils ont préféré anéantir la tour. Je suis affligé de le dire à
la honte » des Laonnois, leur ville possédait un monument rare, un
monument des rois de la seconde race ; il n’y en existe plus aujourd’hui
un seul. Celui de Louis IV était le dernier. Après un pareil acte de
vandalisme, on apprendra quelque jour sans surprise qu’ils démolissent leur
belle cathédrale du onzième siècle, pour faire une halle aux grains. »
Et
Victor Hugo de reprendre :
« Les
réflexions abondent et se pressent devant de tels faits. Et d’abord, ne voilà-t-il
pas une excellente comédie ? Vous représentez-vous ces dix ou douze
conseillers municipaux mettant en délibération la grande destruction de
la tour dite de Louis d’Outremer ? Les voilà tous, rangés en cercle,
et sans doute assis sur la table, jambes croisées et babouches aux pieds, à la
façon des Turcs. Écoutez-les. Il s’agit d’agrandir le carré aux choux et de
faire disparaître un monument féodal. Les voilà qui mettent en commun tout ce
qu’ils savent de grands mots, depuis quinze ans qu’ils se font anucher le Constitutionnel par
le magister de leur village. Ils se cotisent. Les bonnes raisons pleuvent. L’un
a argué de la féodalité, et s’y tient ; l’autre allègue
la dîme ; l’autre, la corvée ; l’autre,
les serfs qui battaient l’eau des fossés pour faire taire les
grenouilles ; un cinquième, le droit de jambage et de cuissage ;
un sixième, les éternels prêtres et les éternels nobles ;
un autre, les horreurs de la Saint-Barthélemy, un autre, qui est
probablement avocat, les jésuites ; puis ceci, puis cela, puis
encore cela et ceci ; et tout est dit, la tour de Louis d’Outremer est
condamnée.
« Vous
figurez-vous bien, au milieu du grotesque sanhédrin, la situation de ce pauvre
homme, représentant unique de la science, de l’art, du goût, de
l’histoire ? Remarquez-vous l’attitude humble et opprimée de ce
paria ? L’écoutez-vous hasarder quelques mots timides en faveur du
vénérable monument ? Et voyez-vous l’orage éclater contre lui ? Le
voilà qui ploie sous les invectives. Voilà qu’on l’appelle de toutes parts carliste,
et probablement carlisse. Que répondre à cela ? C’est fini. La
chose est faite. La démolition du monument des âges de barbarie est
définitivement votée avec enthousiasme, et vous entendez le hourra des braves
conseillers municipaux de Laon, qui ont pris d’assaut la tour de Louis
d’Outremer.
« Croyez-vous
que jamais Rabelais, que jamais Hogarth, auraient pu trouver quelque part faces
plus drolatiques, profils plus bouffons, silhouettes plus réjouissantes à
charbonner sur les murs d’un cabaret ou sur les passages d’une
batrachomyomachie ?
« Oui,
riez. — Mais, pendant que les prud’hommes jargonnaient, coassaient et
délibéraient, la vieille tour, si longtemps inébranlable, se sentait trembler
dans ses fondements. Voilà tout à coup que, par les fenêtres, par les portes,
par les barbacanes, par les meurtrières, par les lucarnes, par les gouttières,
de partout, les démolisseurs lui sortent comme les vers d’un cadavre. Elle sue
des maçons. Ces pucerons la piquent. Cette vermine la dévore. La pauvre tour
commence à tomber pierre à pierre ; ses sculptures se brisent sur le
pavé ; elle éclabousse les maisons de ses débris ; son flanc
s’éventre ; son profil s’ébrèche, et le bourgeois inutile, qui passe à
côté sans trop savoir ce qu’on lui fait, s’étonne de la voir chargée de cordes,
de poulies et d’échelles plus qu’elle ne le fut jamais par un assaut d’Anglais
ou de Bourguignons.
« Ainsi,
pour jeter bas cette statue de Louis d’Outremer, presque contemporaine des
tours romaines de l’ancienne Bibrax, pour faire ce que n’avaient fait ni
béliers, ni balistes, ni scorpions, ni catapultes, ni haches, ni dolabres, ni
engins, ni bombardes, ni serpentines, ni fauconneaux, ni couleuvrines, ni les
boulets de fer des forges de Creil, ni les pierres à bombarde des carrières de
Péronne, ni le canon, ni le tonnerre, ni la tempête, ni la bataille, ni le feu
des hommes, ni le feu du ciel, il a suffi au dix-neuvième siècle, merveilleux
progrès ! d’une plume d’oie, promenée à peu près au hasard sur une feuille
de papier par quelques infiniment petits ! méchante plume d’un conseil
municipal du vingtième ordre, plume qui formule boiteusement les fetfas imbéciles
d’un divan de paysans ! plume imperceptible du sénat de Lilliput !
plume qui fait des fautes de français ! plume qui ne sait pas
l’orthographe ! plume qui, à coup sûr, a tracé plus de croix que de
signatures au bas de l’inepte arrêté !
« Et
la tour a été démolie ! et cela s’est fait ! et la ville a payé pour
cela ! On lui a volé sa couronne, et elle a payé le voleur !
« Quel
nom donner à toutes ces choses ?
« Et,
nous le répétons pour qu’on y songe bien, le fait de Laon n’est pas un fait
isolé. À l’heure où nous écrivons, il n’est pas un point en France où il ne se
passe quelque chose d’analogue. C’est plus ou c’est moins, c’est peu ou c’est
beaucoup, c’est petit ou c’est grand, mais c’est toujours et partout du
vandalisme. La liste des démolitions est inépuisable. Elle a été commencée par
nous et par d’autres écrivains qui ont plus d’importance que nous. Il serait
facile de la grossir, il serait impossible de la clore.
« On
vient de voir une prouesse du conseil municipal. Ailleurs, c’est un maire qui
déplace un peulven pour marquer la limite du champ communal ; c’est un
évêque qui ratisse et badigeonne sa cathédrale ; c’est un préfet qui jette
bas une abbaye du quatorzième siècle pour démasquer les fenêtres de son
salon ; c’est un artilleur qui rase un cloître de 1460 pour rallonger un
polygone ; c’est un adjoint qui fait du sarcophage de Théodeberthe une
auge aux pourceaux.
« Nous
pourrions citer les noms. Nous en avons pitié. Nous les taisons.
« Cependant
il ne mérite pas d’être épargné, ce curé de Fécamp qui a fait démolir le jubé
de son église, donnant pour raison que ce massif incommode, ciselé et fouillé
par les mains miraculeuses du quinzième siècle, privait ses paroissiens du
bonheur de le contempler, lui curé, dans sa splendeur à l’autel. Le maçon qui a
exécuté l’ordre du béat s’est fait des débris du jubé une admirable maisonnette
qu’on peut voir à Fécamp. Quelle honte ! Qu’est devenu le temps où le
prêtre était le suprême architecte ? Maintenant le maçon enseigne le
prêtre !
« N’y
a-t-il pas aussi un dragon ou un housard qui veut faire de l’église de Brou, de
cette merveille, son grenier à foin, et qui en demande ingénument la permission
au ministre ? N’était-on pas en train de gratter de haut en bas la belle
cathédrale d’Angers quand le tonnerre est tombé sur la flèche, noire et intacte
encore, et l’a brûlée, comme si le tonnerre avait eu, lui, de l’intelligence et
avait mieux aimé abolir le vieux clocher que de le laisser égratigner par des
conseillers municipaux ! Un ministre de la restauration n’a-t-il pas rogné
à Vincennes ses admirables tours et à Toulouse ses beaux remparts ? N’y
a-t-il pas eu, à Saint-Omer, un préfet qui a détruit aux trois quarts les
magnifiques ruines de Saint-Bertin, sous prétexte de donner du travail
aux ouvriers ?
« Dérision !
si vous êtes des administrateurs tellement médiocres, des cerveaux tellement
stériles, qu’en présence des routes à ferrer, des canaux à creuser, des rues à
macadamiser, des ports à curer, des landes à défricher, des écoles à bâtir,
vous ne sachiez que faire de vos ouvriers, du moins ne leur livrez pas comme
une proie nos édifices nationaux à démolir, ne leur dites pas de se faire du
pain avec ces pierres. Partagez-les plutôt, ces ouvriers, en deux bandes ;
que toutes deux creusent un grand trou, et que chacune ensuite comble le sien
avec la terre de l’autre. Et puis payez-leur ce travail. Voilà une idée. J’aime
mieux l’inutile que le nuisible.
« À
Paris, le vandalisme fleurit et prospère sous nos yeux. Le vandalisme est
architecte. Le vandalisme se carre et se prélasse. Le vandalisme est fêté,
applaudi, encouragé, admiré, caressé, protégé, consulté, subventionné, défrayé,
naturalisé. Le vandalisme est entrepreneur de travaux pour le compte du
gouvernement. Il est installé sournoisement dans le budget, et il le grignote à
petit bruit, comme le rat son fromage. Et, certes, il gagne bien son argent.
Tous les jours il démolit quelque chose du peu qui nous reste de cet admirable
vieux Paris. Que sais-je ? le vandalisme a badigeonné Notre-Dame, le
vandalisme a retouché les tours du Palais de justice, le vandalisme a rasé
Saint-Magloire, le vandalisme a détruit le cloître des Jacobins, le vandalisme
a amputé deux flèches sur trois à Saint-Germain des Prés. Nous parlerons
peut-être dans quelques instants des édifices qu’il bâtit.
« Le
vandalisme a ses journaux, ses coteries, ses écoles, ses chaires, son public,
ses raisons. Le vandalisme a pour lui les bourgeois. Il est bien nourri, bien
renté, bouffi d’orgueil, presque savant, très-classique, bon logicien, fort
théoricien, joyeux, puissant, affable au besoin, beau parleur, et content de
lui. Il tranche du Mécène. Il protége les jeunes talents. Il est professeur. Il
donne de grands prix d’architecture. Il envoie des élèves à Rome. Il porte
habit brodé, épée au côté et culotte française. Il est de l’Institut. Il va à
la cour. Il donne le bras au roi, et flâne avec lui dans les rues, lui
soufflant ses plans à l’oreille. Vous avez dû le rencontrer.
|
« Quelquefois
il se fait propriétaire, et il change la tour magnifique de Saint-Jacques de la
Boucherie en fabrique de plomb de chasse, impitoyablement fermée à l’antiquaire
fureteur ; et il fait de la nef de Saint-Pierre aux Bœufs un magasin de
futailles vides, de l’hôtel de Sens une écurie à rouliers, de la maison de la
Couronne d’or une draperie, de la chapelle de Cluny une imprimerie. Quelquefois
il se fait peintre en bâtiments, et il démolit Saint-Landry pour construire sur
l’emplacement de cette simple et belle église une grande laide maison qui ne se
loue pas. Quelquefois il se fait greffier, et il encombre de paperasses la
Sainte-Chapelle, cette église qui sera la plus admirable parure de Paris, quand
il aura détruit Notre-Dame. Quelquefois il se fait spéculateur, et dans la nef
déshonorée de Saint-Benoît il emboîte violemment un théâtre, et quel
théâtre ! Opprobre ! le cloître saint, docte et grave des
bénédictins, métamorphosé en je ne sais quel mauvais lieu littéraire.
« Sous
la Restauration, il prenait ses aises et s’ébattait d’une manière tout aussi
charmante, nous en convenons. Chacun se rappelle comment le vandalisme, qui
alors aussi était architecte du roi, a traité la cathédrale de Reims. Un homme
d’honneur, de science et de talent, M. Vitet, a déjà signalé le fait.
Cette cathédrale est, comme on sait, chargée du haut en bas de sculptures
excellentes qui débordent de toutes parts son profil. À l’époque du sacre de
Charles X, le vandalisme, qui est bon courtisan, eut peur qu’une pierre ne
se détachât par aventure de toutes ces sculptures en surplomb, et ne vînt
tomber incongrûment sur le roi, au moment où Sa Majesté passerait ; et
sans pitié, et à grands coups de maillet, et trois grands mois durant, il
ébarba la vieille église ! Celui qui écrit ceci a chez lui une belle tête
de Christ, débris curieux de cette exécution.
« Depuis
juillet, il en a fait une autre qui peut servir de pendant à celle-là, c’est
l’exécution du jardin des Tuileries. Nous reparlerons quelque jour et
longuement de ce bouleversement barbare. Nous ne le citons ici que pour
mémoire. Mais qui n’a haussé les épaules en passant devant ces deux petits
enclos usurpés sur une promenade publique ? On a fait mordre au roi le
jardin des Tuileries, et voilà les deux bouchées qu’il se réserve. Toute
l’harmonie d’une œuvre royale et tranquille est troublée, la symétrie des
parterres est éborgnée, les bassins entaillent la terrasse ; c’est égal,
on a ses deux jardinets. Que dirait-on d’un fabricant de vaudevilles qui se
taillerait un couplet ou deux dans les chœurs d’Athalie ! Les
Tuileries, c’était l’Athalie de le Nôtre.
« On
dit que le vandalisme a déjà condamné notre vieille et irréparable église de
Saint-Germain l’Auxerrois. Le vandalisme a son idée à lui. Il veut faire tout à
travers Paris une grande, grande, grande rue. Une rue d’une lieue ! Que de
magnifiques dévastations chemin faisant ! Saint-Germain l’Auxerrois y
passera, l’admirable tour de Saint-Jacques de la Boucherie y passera peut-être
aussi. Mais qu’importe ! une rue d’une lieue ! comprenez-vous comme
cela sera beau ! une ligne droite tirée du Louvre à la barrière du
Trône ! d’un bout de la rue, de la barrière, on contemplera la façade du
Louvre. Il est vrai que tout le mérite de la colonnade de Perrault, si mérite
il y a, est dans ses proportions, et que ce mérite s’évanouira dans la
distance ; mais qu’est-ce que cela fait ? on aura une rue d’une
lieue ! de l’autre bout du Louvre, on verra la barrière du Trône, les deux
colonnes proverbiales que vous savez, maigres, fluettes et risibles comme les
jambes de Potier. O merveilleuse perspective !
« Espérons
que ce burlesque projet ne s’accomplira pas. Si l’on essayait de le réaliser,
espérons qu’il y aura une émeute d’artistes. Nous y pousserons de notre mieux.
« Les
dévastateurs ne manquent jamais de prétextes. Sous la Restauration, on gâtait,
on mutilait, on défigurait, on profanait les édifices catholiques du Moyen Age,
le plus dévotement du monde. La congrégation avait développé sur les églises la
même excroissance que sur la religion. Le sacré-cœur s’était fait marbre,
bronze, badigeonnage et bois doré. Il se produisait le plus souvent dans les
églises sous la forme d’une petite chapelle peinte, dorée, mystérieuse,
élégiaque, pleine d’anges bouffis, coquette, galante, ronde et à faux jour,
comme celle de Saint-Sulpice. Pas de cathédrale, pas de paroisse en France à
laquelle il ne poussât, soit au front, soit au côté, une chapelle de ce genre.
Cette chapelle constituait pour les églises une véritable maladie. C’était la
verrue de Saint-Acheul.
« Depuis
la révolution de juillet, les profanations continuent, plus funestes et plus
mortelles encore, et avec d’autres semblants. Au prétexte dévot a succédé le
prétexte national, libéral, patriote, philosophe, voltairien. On ne restaure plus,
on ne gâte plus, on n’enlaidit plus un monument, on le jette bas. Et l’on a de
bonnes raisons pour cela. Une église, c’est le fanatisme ; un donjon,
c’est la féodalité. On dénonce un monument, on massacre un tas de pierres, on
septembrise des ruines.
« À
peine si nos pauvres églises parviennent à se sauver en prenant cocarde. Pas
une Notre-Dame en France, si colossale, si vénérable, si magnifique, si
impartiale, si historique, si calme et si majestueuse qu’elle soit, qui n’ait
son petit drapeau tricolore sur l’oreille. Quelquefois on sauve une admirable
église en écrivant dessus : Mairie. Rien de moins populaire
parmi nous que ces édifices faits par le peuple et pour le peuple. Nous leur en
voulons de tous ces crimes des temps passés dont ils ont été les témoins. Nous
voudrions effacer le tout de notre histoire. Nous dévastons, nous pulvérisons,
nous détruisons, nous démolissons par esprit national. À force d’être bons
Français, nous devenons d’excellents Welches.
« Dans
le nombre, on rencontre certaines gens auxquels répugne ce qu’il y a d’un peu
banal dans le magnifique pathos de juillet, et qui applaudissent aux
démolisseurs par d’autres raisons, des raisons doctes et importantes, des
raisons d’économiste et de banquier. — À quoi servent ces monuments ?
disent-ils. Cela coûte des frais d’entretien, et voilà tout. Jetez-les à terre
et vendez les matériaux. C’est toujours cela de gagné. — Sous le pur rapport
économique, le raisonnement est mauvais. Nous l’avons déjà établi plus haut, ces
monuments sont des capitaux. Beaucoup d’entre eux, dont la renommée attire les
étrangers riches en France, rapportent au pays bien au delà de l’intérêt de
l’argent qu’ils ont coûté. Les détruire, c’est priver le pays d’un revenu.
« Mais
quittons ce point de vue aride, et raisonnons de plus haut. Depuis quand
ose-t-on, en pleine civilisation, questionner l’art sur son utilité ?
Malheur à vous si vous ne savez pas à quoi l’art sert ! On n’a rien de
plus à vous dire. Allez ! démolissez ! utilisez ! Faites des
moellons avec Notre-Dame de Paris. Faites des gros sous avec la Colonne.
« D’autres
acceptent et veulent l’art ; mais, à les entendre, les monuments du Moyen
Age sont des constructions de mauvais goût, des œuvres barbares, des monstres
en architecture, qu’on ne saurait trop vite et trop soigneusement abolir. À
ceux-là non plus il n’y a rien à répondre. C’est fini d’eux. La terre a tourné,
le monde a marché depuis eux ; ils ont les préjugés d’un autre
siècle ; ils ne sont plus de la génération qui voit le soleil. Car, il
faut bien, nous le répétons, que les oreilles de toute grandeur s’habituent à
l’entendre dire et redire, en même temps qu’une glorieuse révolution politique
s’est accomplie dans la société, une glorieuse révolution intellectuelle s’est
accomplie dans l’art. »
Et
plus loin :
« S’il
est vrai, comme nous le croyons, que l’architecture, seule entre tous les arts,
n’ait plus d’avenir, employez vos millions à conserver, à entretenir, à
éterniser les monuments nationaux et historiques qui appartiennent à l’État, et
à racheter ceux qui sont aux particuliers. La rançon sera modique. Vous les
aurez à bon marché. Tel propriétaire ignorant vendra le Parthénon pour le prix
de la pierre.
« Faites
réparer ces beaux et graves édifices. Faites-les réparer avec soin, avec
intelligence, avec sobriété. Vous avez autour de vous des hommes de science et
de goût qui vous éclaireront dans ce travail. Surtout que l’architecte
restaurateur soit frugal de ses propres imaginations ; qu’il étudie
curieusement le caractère de chaque édifice, selon chaque siècle et chaque
climat. Qu’il se pénètre de la ligne générale et de la ligne particulière du
monument qu’on lui met entre les mains, et qu’il sache habilement souder son
génie au génie de l’architecte ancien.
« Vous
tenez les communes en tutelle, défendez-leur de démolir.
« Quant
aux particuliers, quant aux propriétaires qui voudraient s’entêter à démolir,
que la loi le leur défende ; que leur propriété soit estimée, payée et
adjugée à l’État. Qu’on nous permette de transcrire ici ce que nous disions à
ce sujet en 1825 : « Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du
pays. Une loi suffirait ; qu’on la fasse. Quels que soient les droits de
la propriété, la destruction d’un édifice historique et monumental me doit pas
être permise à ces ignobles spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur
honneur ; misérables hommes, et si imbéciles, qu’ils ne comprennent même
pas qu’ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice :
son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout
le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire c’est dépasser son
droit. » Ceci est une question d’intérêt général, d’intérêt national. Tous
les jours, quand l’intérêt général élève la voix, la loi fait taire les
glapissements de l’intérêt privé. La propriété particulière a été souvent et
est encore à tous moments modifiée dans le sens de la communauté sociale. On
vous achète de force votre champ pour en faire une place, votre maison pour en
faire un hospice. On vous achètera votre monument.
« S’il
faut une loi, répétons-le, qu’on la fasse. Ici nous entendons les objections
s’élever de toutes parts : — Est-ce que les chambres ont le temps ? —
Une loi pour si peu de chose ! Pour si peu de chose ! Comment !
nous avons quarante-quatre mille lois dont nous ne savons que faire,
quarante-quatre mille lois sur lesquelles il y en a à peine dix de bonnes. Tous
les ans, quand les chambres sont en chaleur, elles en pondent par centaines,
et, dans la couvée, il y en a tout au plus deux ou trois qui naissent viables.
On fait des lois sur tout, pour tout, contre tout, à propos de tout. Pour
transporter les cartons de tel ministère d’un côté de la rue de Grenelle à
l’autre, on fait une loi. Et une loi pour les monuments, une loi pour l’art,
une loi pour la nationalité de la France, une loi pour les souvenirs, une loi
pour les cathédrales, une loi pour les plus grands produits de l’intelligence
humaine, une loi pour l’œuvre collective de nos pères, une loi pour l’histoire,
une loi pour l’irréparable qu’on détruit, une loi pour ce qu’une nation a de
plus sacré après l’avenir, une loi pour le passé, cette loi juste, bonne,
excellente, sainte, utile, nécessaire, indispensable, urgente, on n’a pas le
temps, on ne la fera pas !
« Risible !
risible ! risible ! »
De
la province à Paris, le vandalisme a, comme on voit, appris à lire, à écrire, à
courtiser sous de multiples visages. Le danger permanent est au plus haut
niveau et rien, jusqu’alors, n’a pu le conjurer, pas même la création, le 29 octobre
1830, du poste d’Inspecteur général des monuments historiques confié
à Ludovic Vitet, « un homme d’honneur, de science et de talent »
comme le qualifie Victor Hugo.
Pavillon d'Anne de Beaujeu à Moulins
|
Très
vite, Vitet apparaît comme le seul homme à être en mesure de mener à bien une
tâche aussi lourde, d’autant qu’il n’existe pas de loi régissant les Monuments
historiques, mais uniquement des circulaires. Dès 1833, Vitet réclame les
moyens d’une politique efficace en faveur des monuments : « Si vous
ne m’armez pas d’un bout de loi, d’ici dix ans il n’y aura plus un monument en
France, ils seront tous ou détruits ou badigeonnés. » (Rapport de Ludovic
Vitet à Guizot, ministre de l’Intérieur, à l’issue de sa tournée dans le
sud-ouest de la France)
Le
célèbre Prosper Mérimée succède en 1834 à Ludovic Vitet, et le
29 septembre 1837 enfin, la Commission des Monuments historiques est
créée, composée d’archéologues comme Leprévost et le baron Taylor, d’architectes
comme Caristie et Duban, et d’hommes politiques comme le comte de Montesquiou.
Mérimée en est le secrétaire jusqu’en 1839. Cette instance examine les demandes
de subventions et de travaux, dresse la liste des édifices qui méritent d’être
classés, donne un avis sur toute modification apportée à un bâtiment classé,
peut proposer l’achat d’un édifice en péril. Elle s’appuie sur le réseau des
Sociétés savantes qui l’informe des découvertes, des édifices en danger, des
travaux réalisés dans de mauvaises conditions. Pour mieux juger de la
pertinence des projets de restauration qui lui sont soumis, elle exige des
architectes des rapports et des plans. Les projets et devis sont classés par
ordre d’urgence.
Par
ailleurs, afin d’aider la Commission à mieux cibler le choix des édifices à
restaurer, par circulaire du 10 août 1837, peu avant la création de cette
Commission, le ministre de l’Intérieur avait demandé aux préfets de dresser la
liste de monuments de leurs départements qui avaient besoin de secours et de
les classer par ordre d’importance.
C’est
d’après ces listes que la Commission établit la première liste des édifices
classés Monuments historiques, appelée « Liste de 1840 »,
régulièrement nourrie de nouveaux monuments. Elle comprend alors 1090 monuments
classés, au nombre desquels figurent aussi bien des édifices que des objets
comme les vitraux de Champigny-sur-Veude, le sépulcre de Saint-Mihiel ou la
tapisserie de Bayeux. Le nombre de monuments classés double en 1842, et est
fixé à 2420. En 1848, 2800 édifices sont protégés. La grande croisade des
artistes, « Hugoth » en tête — titre d’une caricature lithographique
parue en 1833 dans le numéro 4 de La Charge, journal satirique
paraissant le dimanche —, avait payé.
Quand
la destruction d’un bâtiment est inévitable, la Commission des Monuments
historiques en fait réaliser des relevés pour en conserver la mémoire. C’est le
cas des maisons à pans de bois d’Orléans et de Rouen, relevées par l’architecte
Vaudoyer avant leur démolition. En 1846, dans un rapport au ministre, Mérimée
s’exprime ainsi : « La Commission a dû s’occuper de conserver le
souvenir de quelques monuments remarquables dont il est impossible de prolonger
indéfiniment la durée. À sa prière, vous avez chargé M. Vaudoyer de
relever et de dessiner un assez grand nombre de maisons anciennes qui
existaient à Orléans. Dans une ville où le respect des monuments anciens n’est
point enseigné par l’administration municipale, on doit s’attendre à voir
disparaître rapidement des constructions en général peu solides et sans cesse
exposées à être altérées par leurs propriétaires. Il n’y avait pas un moment à
perdre pour étudier la disposition et les détails de ces habitations qui
jettent le plus grand jour sur les usages et mœurs du Moyen Age. »
C’est
avec Mérimée, inspirateur d’un grand nombre de décisions prises par la
Commission, que s’élabora, peu à peu, en fonction des chantiers de
restauration, une politique de restauration des Monuments historiques. Les
premiers travaux sur des édifices classés furent effectués par des architectes
locaux. Les résultats divers, souvent très médiocres, sinon catastrophiques, de
leurs travaux, dus à la méconnaissance de l’architecture médiévale, incitèrent
Mérimée et la Commission à faire appel, à partir de 1840, à des architectes
parisiens ayant étudié l’architecture du Moyen Age. C’est ainsi que l’église de
la Madeleine de Vézelay et la Cité de Carcassonne furent confiées à Eugène
Viollet-le-Duc, que Charles Questel eut la charge de l’abbaye de Moissac, de
l’église Saint-Maurice de Vienne et des monuments antiques de Nîmes et d’Arles,
qu’Émile Boeswillwald restaura la cathédrale de Laon et Duban, le château de
Blois, etc.
Actuellement,
la France compte près de 45 000 monuments historiques.
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